Dimanche 14 – Escapade à Kumbhalgarh et à Ranakpur

Lever tôt encore car j’ai pris rendez-vous avec Shaabir, mon chauffeur de taxi de l’aéroport, pour faire aujourd’hui une excursion au fort de Kumbhalgarh et au temple jaïn de Ranakpur. Les deux sites sont à une centaine de kilomètres d’Udaipur, dans la montagne.

Son réveil n’a pas sonné et il arrive à la hâte, aussi nous nous arrêtons d’abord pour déjeuner sur une place. La cantine est une cahute sur le trottoir. Je prends un thé au lait et aux épices (le « shai »). Lui mange aussi un bol de riz, que le tenancier lui sert depuis un grand plat où le riz fait une montagne jaune plantée de fins piments verts. J’ai faim mais je n’ai pas confiance, dommage, je me contenterai du sandwich à l’omelette que j’ai emporté de l’hôtel. Un bol de riz et trois thés, total 11 roupies, cela ne fait pas 20 centimes. Je provoque évidemment la curiosité des quelques enfants pauvres, sales et déguenillés qui sont là. La pauvreté en Inde est une pauvreté extrême. Par principe, je ne donne pas aux enfants parce que je pense que leur place est à l'école et parce que leur donner les maintient dans la position de mendiant où leurs parents les placent, mais que deviennent ces principes en Inde? Si à 8 ans on peut travailler, alors pourquoi n'aurait-on pas le droit de mendier?

Sortis de la ville, le terrain s’escarpe. Aucune indication sur la route et Shaabir ne vient apparemment pas souvent. Une fois, il vérifie même son chemin auprès des habitants. Nous traversons les villages à l’heure de la corvée d’eau. Femmes et enfants portent de l'eau dans des jarres en terre ou en cuivre. Je ne me rappelle plus ce que font les hommes, je me souviens surtout de leurs turbans noués négligemment mais savamment. Les champs de maïs sont bordés de murets en schiste ou de haies de cactées. On a enroulé un morceau de sari sur un bâton pour faire un épouvantail. L'ensemble dégage plus une impression de labeur que de misère. Les maisons sont bien bâties, ici et là on voit un tracteur. Plus tard, les femmes vont aux champs avec leur repas dans un pot de camp en fer blanc. On voit des norias dans les champs, pour y atteler des bœufs.

Pardon pour le cliché, le fort de Kumbhalgarh évoque immanquablement la muraille de Chine. Ses murailles ventrues de roche noire enserrent un grand lopin de collines tel un long serpent en délire, dominant la plaine et gardant l’entrée des montagnes. Au sommet se trouve le château, une ancienne forteresse transformée en palais d’agrément. Il est désert est silencieux, ce n’est qu’en descendant que je croiserai les premiers visiteurs. On peut visiter la suite des femmes, décorée d’une frise d’éléphants en colère se battant entre eux et se déchaînant contre tous les animaux de la jungle, pas du tout un spectacle pour les jeunes filles. Du toit on découvre l’immensité du site. Entre les arbres et les broussailles s’égrènent un chapelet de temples superbes. Grands, petits, coiffés d’un amas de toits en pyramide tronquée, ornés de divinités hommes et femmes, nus ou parés de robes ciselées et coiffés de tiares ou de chapeaux haut de forme. Je pars à leur découverte, me perdant dans les sentiers. Assise sur les créneaux de la muraille, une femme bavarde avec une amie en contrebas.










Je retrouve Shaabir au bistrot et nous repartons à travers la montagne, dans un beau paysage escarpé. Nous descendons vers Ranakpur où l’attraction est le temple jaïn, tout de marbre blanc. L’ensemble est sculpté avec une merveilleuse finesse, notamment les plafonds circulaires. L’intérieur est frais et clair-obscur. Dans un coin, un jeune prêtre broie de l’ocre sur une pierre, je suppose que c’est pour tracer le point rituel au front des fidèles. Sur les piliers, des rangées infinies de dragons, de lions, d'éléphants. Pour figurer l’infinité de bouddhas, on en sculpte… une infinité (allez, 11 rangées de 11 bouddhas, pour moi c’est l’infini). Je m’assieds pour contempler et ne vois pas le temps passer. Autour des encadrements de fenêtres, je vois que les abeilles sauvages ont construit leur ruche, qui dégouline comme une forme vivante. Cela ravit sûrement les fidèles jaïns, qui chérissent toutes les formes de vie. A l’extérieur, tout le tour est orné de figures humaines pleines de grâce. Les gargouilles sont d’inquiétantes gueules de bêtes aveugles. Le soleil est éclatant. Devant le temple, des singes a tête noire et à grande queue font les fous et cueillent des fleurs. Je suis sûr d'en avoir vu un humer la fleur.

Sur la route du retour à Udaipur, nous traversons au pas une procession de fidèles vêtus en orange (couleur sacrée visiblement, et est-ce un hasard, aussi la couleur d’ArcelorMittal). Le long de la route, près des villages, des enfants jouent avec des cerceaux en fer, des vieux pneus. Plus loin, une femme pleure dans son voile mauve, un vieil homme en turban lui tient l'épaule, devant un groupe de personnes.

Plus loin encore, la grand-route est en travaux. Un jour elle aura 4 voies. Dans les passages encaissés, seul le gros travail à l'explosif a été fait. Entre les montagnes de décombres, il laisse de grandes flaques où les femmes viennent faire la lessive. Certains tronçons faciles sont déjà construits, mais il n'y a pas de continuité. Il faut passer tantôt sur une chaussée, tantôt sur l'autre, évidemment sans aucune indication.

Il est environ 5 heures quand nous arrivons à Udaipur. Shaabir me dépose au jardin de Sahelion Ki Bari, celui que je n’ai pas trouvé hier. C’est un élégant jardin d’agrément, avec une grande pièce d’eau, des allées ombragées et un joli bassin couvert de lotus. On n’y passerait pas la journée mais c’est une halte agréable après toute cette route. Je décide de rentrer vers le centre à pied, dans l’espoir de trouver le musée d’art populaire dont parlent les guides. Je ne me souvenais plus du nom et la description ne disait rien au taxi. Par chance, je tombe sur le musée sur mon chemin, juste quand je me résignais à le manquer. C’est une construction biscornue, qui abrite une collection de masques, de jouets, de marionnettes, de dioramas. En prime, un petit spectacle de marionnettes donné par des enfants, très drôle, tout le public rit aux éclats.

En approchant du centre, la circulation est plus dense. Des engins à trois roues de toutes espèces se croisent en pétaradant. Ce doit être la fin de la journée de travail, tous sont surchargés. Je fais un crochet par un jardin public qui occupe la digue du lac. Revenu dans « mon » quartier, je m’arrête prendre un jus de fruit chez Papa’s. C’est une petite échoppe où le tenancier, d’une trentaine d’années, coupe et centrifuge des oranges, des ananas, des grenades. Sa clientèle est faite de touristes et d’un essaim de jeunes Indiens délurés qui s’encanaillent en se faisant offrir des verres et en discutant avec les filles. La veille après les danses, c’est Jessica, ma voisine de spectacle, une Allemande qui vit à Singapour, qui m’y a amené, pour une conversation décousue à 5 ou 6, de demi-phrases qui ne vont pas bien loin, où l’on rit de pas grand-chose (en fait on rit de n’importe quoi, quand on a réussi à comprendre une phrase de son interlocuteur on rit, comme pour prouver qu’on a enfin saisi quelque chose et qu'on n'est pas complètement idiot – ou alors c’est Papa qui met quelque chose dans ses jus). Et c’est déjà la nuit. La journée a été bien remplie, je cherche un endroit tranquille pour écrire mes notes. J’irai dîner dans un restaurant proche, mes plats préférés d’ici : des cubes de fromage cuits avec un curry d’épinards, du dal (purée de lentilles) et des nan biens chauds (des galettes de pain plat) !

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