Samedi 13 – Les fastes et les misères d'Udaipur

Trempette dans la piscine et petit déjeuner à l’hôtel, auquel je fais mes adieux. Les deux prochaines nuits, je vais les passer dans un petit hôtel plus simple, pas très loin, appelé Mewar Haveli. Mewar est le nom de la région. Haveli signifie « demeure » et est un nom accaparé, à plus ou moins juste titre, par des hôtels jouant la carte de l’authenticité. En faisant mon sac, j’observe par la fenêtre de ma chambre le chantier sur la parcelle voisine. Un enfant de dix ans environ attrape les briques qu’on lui lance depuis le camion et les arrange en tas.

Je fais un petit tour jusqu’au lac qui est tout proche, derrière un hôtel charmant qui en plus s’appelle Amet Haveli (j’y reviendrai). Des pauvres habitent dans le terrain vague, dans des tentes misérables. Le lac n’est pas très rempli mais donne quand même une impression de lac (il paraît qu’il y a quelques étés c’était plutôt un pâturage). Sur l’autre rive on voit des lavandières à leur tâche et aussi des hommes qui semblent récolter les lentilles d’eau à la surface avec une sorte de filet.

Je réserve la visite de la citadelle pour tout à l’heure et pars me promener vers l’autre partie du lac, du côté nord de la ville. C’est paisible. Des femmes ont étendu sur la berge leur lessive multicolore. Quelques hôtels en construction. Parfois, un petit sanctuaire de quartier. Ou simplement, sur le cylindre de béton qui marque le centre du carrefour, une coupelle en terre cuite ou une brique cassée (exprès ?) et quelques œillets d’Inde orange.

Je finis par me perdre en cherchant le jardin de Sahelion Ki Bari, que je ne trouverai pas. Il faut dire que j’ai pour seul plan un croquis à la fois imprécis et faux, c’est ce que j’ai trouvé de meilleur sur internet. De toute façon, sur place je ne verrai pas mieux. Tenons-nous le pour dit : l’Inde n’est pas cartographiée. De toute façon, les touristes ne sont pas censés marcher à pied. Un jeune homme m’interpelle au carrefour. Je lui demande mon chemin. Il me fait une réponse vague que ce n’est pas par là, que c’est loin et qu’en plus ce n’est pas très intéressant. Mais puisqu’il est en moto, il peut me ramener vers le centre. Pourquoi pas, en route. Il s’appelle Mukesh. Il me raconte des bobards énormes, qu’il va souvent à Bilbao, qu’il travaille dans la mode, qu’il a étudié à Paris dans le XIXe dans l’école de Jean-Paul Gaultier (il ne parle pas trop mal français d’ailleurs), qu’il a 25 couturières dans son studio, etc. Ça paraît un peu gros, mais bon, il est sympathique et puis il me rend service. Il a la peau foncée, il me dit que sa famille est une famille noble (de rajpoutes). Nous visitons ensemble le musée de Bagore Ki Haveli. C’est un ancien palais, au bord du lac, où l’on explique la vie seigneuriale et où l’on peut admirer toutes sortes d’objets anciens, comme une collection de turbans de tous les styles. Apparemment chaque endroit a une façon différente de le porter. Certaines pièces portent encore de belles peintures comme cette frise d’éléphants ou le décor de la chambre nuptiale (il y a même sur la plinthe des miniatures érotiques), qui est aveugle à part une lucarne au ras du sol (pour passer des provisions en cas de séance prolongée ??). Au sous-sol on trouve un petit sanctuaire privé, fort décoré. A la sortie on voit aussi une pièce remplie de maquettes en polystyrène des monuments de l’Inde et du monde.

C’est l’heure de prendre un café et une linzertorte au « Café Edelweiss » en face, rendez-vous des touristes. Mais je ne peux pas me défaire de Mukesh comme cela. Par politesse, je ne vois pas comment lui refuser une visite à l’ « école » de miniatures. Il est très flou sur son lien avec cette boutique : il parle de « notre maître » (de miniatures), ne précise pas s’il est parent, élève, ou simple rabatteur ! Il me montre des images, certaines jolies, peintes sur bois ou sur os de chameau. La qualité est nettement au-dessus de la moyenne de ce que j’ai vu dans les vitrines en passant, mais en fin de compte rien d’enthousiasmant, surtout pour le prix. (La seule miniature vraiment belle, je l'ai vue à Delhi, dans la boutique de l'hôtel Taj Palace, chère mais vraiment belle, peinte sur du papier ancien avec de jolies gifgures et de fins papillons orange dans la marge). Ensuite, nous faisons un tour à « sa » boutique de confection. A Hong-Kong, en Corée, je me suis fait faire des habits et j’en ai été plutôt content. Le problème est de se faire une idée de la qualité des tissus. J’achète pour finir 3 chemises, à un prix qui serait une affaire très correcte si la qualité était à la hauteur, mais malheureusement pas terrible. Mukesh a du mal à tenir son rôle dans la boutique, on voit qu’il n’y connaît rien, et peut au maximum noter les mesures que le tailleur lui dicte. C’était donc une arnaque, pas grave, mais mon amour-propre est blessé quand même. Au bout du compte, la matinée est bien entamée quand je me dirige vers la citadelle, ou « city palace ». Les nuages se sont amoncelés et l’averse éclate juste quand j’arrive. Je m’abrite dix minutes sous l’auvent des guichets.

La citadelle est un labyrinthe de bâtiments d’époques diverses, disons du XVIe au XIXe siècles. La pierre claire et les hauts murs lisses donnent une agréable unité. La visite ne nous épargne rien des coursives, courettes et recoins du palais. Des terrasses on découvre les maisons d'Udaipur entassées et imbriquées comme des blocs de lego. La partie historique du musée est en bonne partie dévouée au Maharana Pratap, prince du XVIe siècle, qui arbore sur les portraits les mêmes splendides moustaches en demi-lunes qui ornent le soleil qui sert d’emblème à la région de Mewar (on ne dit pas si le soleil à moustaches est une divinité qui a inspiré le prince ou si c’est lui qui s’est figuré en soleil sur son blason). En visitant ces cours et ces salons, on saisit bien l’apport fondamental du papier d’aluminium et du verre coloré à l’esthétique du Rajasthan. Dans la partie finale, on peut voir une galerie de portraits de l’actuel maharana, bonhomme à la barbe chantournée, dans un accrochage où prédomine la technique mixte, il y a même un portrait en papier peint découpé doré et argenté, et un autre en sequins sur feutrine grenat. Au total, on a bien l’impression qu’on se fiche de nous. Où est l'or ? Où sont les émeraudes ? les ivoires ? les belles choses ? Le maharana se réserve une aile du palais pour son usage. Je suppose que les vraies œuvres d’art lui sont réservées elles aussi. Le commun des mortels peut séparément visiter le « palais de cristal », fastueuse collection d’objets et de mobilier tout en verre. Figurez-vous que je me suis abstenu.

Une autre partie du palais est transformée en hôtel de luxe, deux hôtels même – oui, c’est immense. Je prends un jus de fruits au bord de la piscine dans l’un d’eux, tout seul au bord de la piscine comme un milord, avant de descendre vers le lac. Dans la rue, sous les fenêtres du palace, un homme en slip termine sa toilette et sa petite lessive. Des bateaux font la navette pour visiter le Lake Palace. C’est un palais sur une île artificielle au milieu du lac, aujourd’hui converti en hôtel. Le passage est une agréable promenade avec une belle vue sur la ville. A bord, une famille d’Indiens en vacances (il travaille dans l’informatique) et un groupe de jeunes Espagnoles. On passe devant le bateau du maharana, qui évoque la galère d’apparat et la barque de joute sétoise, peint en rouge et bleu, je suppose que quand le maharana est à bord, on le décore de soieries et de guirlandes. Le Lake Palace a belle allure, dommage que l’orage approche à nouveau. Des musiciens jouent du xylophone improvisé en tapant avec des bâtons sur une série de bols remplis de différentes hauteurs d’eau. Ils me font essayer, je leur joue un air et ils me trouvent tellement doué qu’ils veulent me vendre leur CD !

Je me hâte vers l’embarcadère et attrape le bateau à temps avant l’orage. Le ciel est noir, une pluie lourde se déchaîne et les éclairs nous bombardent. Sous la bâche du bateau, qui nous protège à peu près, tous les passagers tendons le dos comme des chats. Approchant du débarcadère, le pilote manœuvre lentement, à notre soulagement, mais tout a une fin, il nous faut quand même quitter le navire. Il n’y a aucun abri en vue. Je fonce à la course, en direction de l’hôtel le plus vite possible, une dizaine de minutes quand même. Heureusement le gros de l'orage est passé. Arrivé dans ma chambre, je vide mes poches, mets une chemise sèche, pour le pantalon je n’en ai pas d’autre (le défi de ce voyage était le minimum de bagages, j’ai donc…un minimum de bagages).

La nuit est tombée et je retourne au Bagore Ki Haveli pour le spectacle de danse et de marionnettes. Le spectacle est bien plus authentique et joyeux que celui auquel nous avons eu droit au restaurant à Delhi. Il combine des danses de différentes régions avec un intermède de marionnettes à fils qui gigotent sur une musique endiablée. Pour conclure, une matrone joufflue exécute la danse de l'eau. Avec passion, grâce et humour, elle enchaîne ce qui semble être les couplets d'un récit, apparemment une histoire de séduction. Sur sa tête elle porte une jarre, puis deux, puis plus encore, jusqu'à 6. "Normalement elle en porte 12, explique la présentatrice du spectacle, mais à cause de la pluie nous sommes a l'intérieur et le plafond est trop bas". Et avec cet édifice sur la tête, elle virevolte, s’incline presque à plat ventre pour retirer avec ses dents le foulard qui masque… une fleur artificielle ! Puis elle danse debout sur une bassine en métal qu’elle fait tressauter en rythme. Nous sommes ravis. Je reverrai la même danseuse le soir. M'étant perdu en revenant du restaurant (ce restaurant est au diable, je m'étais déjà perdu en y allant), j'arrive à la place devant la tour de l'horloge. C'est le festival de Ganesh. Le dieu éléphant en carton pâte est dans une chapelle improvisée, tout orné d'œillets orange. Le lendemain, dans toute l’Inde, on immergera les Ganesh dans les lacs, dans une grande cérémonie. La place est illuminée de guirlandes. Une foule sage se régale de musique et de danse. Coïncidence, la danseuse du spectacle est là, simplement dans une robe beaucoup plus belle. Elle s'arrêtera à 9 pots mais c'est à cause de l'animateur, un escogriffe en tunique blanche avec un turban tressé multicolore. Il multiplie les pitreries mais n'est pas bien précis quand il s'agit de poser les récipients bien droits. Au bout d'un moment, on voit bien que l'équilibre est de plus en plus difficile et qu'il est prudent d'en rester là. Pour ma part, j’en reste là aussi et je rentre dormir.

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